Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)

Publié le par Machu y Picchu

Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)

Deux jours en Bolivie. Et déjà tellement de choses vues, entendues, senties.

Tupiza est un bled frontalier à moins d’une centaine de bornes de La Quiaca, la ville la plus septentrionale d’Argentine. Autrement dit, à 150km de Iruya, cette petite ville au fond du canyon où nous avons passé la nuit il y a un peu plus de... 3 mois !

Après avoir quitté le Chili, nous avons fait un beau détour pour venir dans ce coin paumé. On a transité par Uyuni et on s'apprête à y retourner. Et non, on n’a pas pété un câble. Tout ça est réfléchi ! Très réfléchi. Oh, que c’est réfléchi.

Nous planifions notre traversée du fameux salar depuis des jours. À San Pedro, on nous proposait de franchir la frontière de montagnes et remonter tout droit vers le désert de sel. Mais d’après nos renseignements, les tours-opérateurs chiliens filent droit sans s’attarder en chemin… Nous avons préféré le détour par Calama et Uyuni pour rejoindre Tupiza. Il paraît que les guides d’ici en valent la peine.

Le trajet en bleu, celui de la jeep dans le désert bolivien, est très approximatif. Le trajet réel étant sans doute moins zigzagant et plus logique !

Le trajet en bleu, celui de la jeep dans le désert bolivien, est très approximatif. Le trajet réel étant sans doute moins zigzagant et plus logique !

Arrivée à Tupiza en pleine nuit, après une journée de trajets harassants. À 2800m d’altitude, nos sacs pèsent lourd et les distances dans ces ruelles mal éclairées semblent infinies. Nous ne nous sentons pas d’attaque à faire une mauvaise rencontre. À l’auberge, en cette heure tardive, nous trouvons porte close. Et herse baissée. Il est minuit du matin, on a faim, on est fatigués et on n’a pas de réservation. 

Ce matin, à Uyuni, ça avait été la croix et la bannière pour passer le coup de fil qui nous aurait garanti la nuit. Pas possible d’acheter une carte SIM sans numéro de registre national (une mesure contre la criminalité bientôt imitée en Belgique : http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/mobistar-va-ficher-ses-clients-prepayes-5717cb5435702a22d692aa5c). Rien n'est simple ! Le vendeur pris de pitié s’enregistre à notre place… mais la batterie du téléphone tombe en rade.

Aya a fait le trajet avec nous de Calama à Uyuni. Nous nous quittons dans cette étrange cité habitée par des courants d’air. Il y a autant d’habitants que de gens de passage. Dans toutes les rues, des jeeps rongées par le sel s’apprêtent à repartir, le toit encombré de bagages fagotés. Comme si le Dakar n'en finissait pas de passer.

Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)

Sept petites heures de route sinueuse nous séparent de Calama. À peine descendus du bus, nous avons été avalés par un flot de vendeurs ambulants, de femmes portant leur bébé sur le dos dans des tissus colorés ; çà et là quelques gringos reconnaissables à leurs sacs à dos et leur peau immaculée, perdus parmi les paquets de vêtements, les sacs de pommes de terre jetés sur des épaules. Les femmes portent des chapeaux d'homme, des couches superposées de jupons et des bas en laine dans leurs sandales. Les hommes ont de vieux pantalons côtelés, des chapeaux à bords plats. On ne trouve plus rien de latin dans les visages. On a l’impression d’arriver à une soirée sans avoir été prévenus que c’était déguisé. Bon, en fait, c’est nous les déguisés.

On apprend qu’il existe un train entre Uyuni et Tupiza. Ça faisait longtemps que la possibilité de voyager en train ne s’était pas présentée ! Mais la gare est déserte et la porte est fermée : elle n'ouvre qu'une heure avant l'arrivée du train… Et les horaires sont incompréhensibles, le tableau a été réalisé par un mec doté d’une logique de hareng saur (heureusement qu’il n'y a qu'un train par jour…). Une silhouette avinée s'approche pour nous offrir son aide. Sans doute de bonne foi... mais tout nous semble suspect.

Les agences de bus défraîchies ont des airs de bureaux de police politique, à se demander si quelque dissident ne se fait pas arracher les ongles dans l'arrière-salle. Comme à notre habitude, afin de garder le budget à flot, nous faisons le tour de toutes les offres de toutes les compagnies de bus et choisissons le transport le plus économique avant de nous rendre compte, conversion faite, que nous sommes en train d'épargner 60 eurocentimes. Et on le regrettera.

La ville semble entièrement construite en brique et en parpaings de béton. Au milieu des maisons aux toits de taule rouillée, on a tracé des avenues d'asphalte qui crient "on fait ce qu'on peut pour être modernes !". Une tour et son horloge style XIXe semble avoir été déposée par erreur au coin d'un carrefour. Au bout de la rue piétonne, on jurerait qu'il n'y a plus rien, peut-être la mer : c’est un mélange entre Coxyde, une ville de Western, et la banlieue de Charleroi, sauf qu'il y a des pickups rouillés un peu partout et qu'au bout de l'espèce de Zeelaan, on ne trouve pas la plage mais une ligne de chemin de fer où le train s’arrête une fois par jour.

Une avenue est occupée par un marché qui a tout du campement de réfugié. Au milieu du marché, en plein carrefour, un attroupement s’est réuni pour regarder une émission péniblement retransmise par un petit écran cathodique déposé sur un étal. Ailleurs, une petite fille de 8 ou 9 ans devant une bâche bleue nous vend des fruits secs avec des mots de commerçant chevronné (« Il y a un peu plus, je vous le mets ? »), on aurait presqu’envie de trouver ça mignon si c’était pas malsain à mort. C’est notre premier contact avec le travail des enfants, qui est monnaie courante en Bolivie.

On est assaillis par une foultitude de sentiments : l’envie de découvrir et de faire connaissance contrariée par une impression inconfortable d’étrangeté, d’incompréhension ; l’impression de ne pas être bienvenus mais néanmoins attendus, avec ces hôtels « turisticos », ces restos « turisticos ».

Mais aucun des turisticos d'Uyuni n’est comparable à l’Extreme Fun Pub : un bar à gringo spécial beuveries pour fêter le retour à la civilisation après le désert de sel. Ici, la débauche est un sport. Un hall of fame occupe tout un mur : des centaines de fessiers de clients immortalisés au Polaroïd. Derrière le comptoir, un tableau de scores enregistre les performances des meilleurs buveurs à avoir relevé le défi du « Extreme Challenge Drink », un concours d'estaffette où il faut enchaîner le « Flaming Lamborgini », le « Coca Leave is not Cocaine » ou encore le « Sperme de Lama », parmi d'autres cocktails fleuris. Du grand art. Naturellement, dans le top 5 des buveuses les plus rapides, on trouve une Belge.

Devant la banque, une petite file de gringos se forme. Nous faisons la connaissance de trois mormones américaines parties « en mission » dans des contrées reculées. Un Américain à court de dollar et à l’allure de Crocodile Dundee fait un arrêt d’urgence pour se renflouer au distributeur de billets, tandis que son chauffeur laisse tourner le moteur de la jeep. Indiana Johnny Depp reprend son chemin et nous, la direction d'un resto turistico pour prendre un verre avec les jeunes missionnaires. Étrange combinaison : les tentatives de trouver des affinités dans un décor artificiel de flûtes de pan et de pans de tissu, la serveuse enjouée comme une plaque d’égout qui va acheter des bières à l’établissement voisin pour ne pas perdre ses clients, la carte mal traduite en anglais. Nos trois Saintes nous quittent bientôt sur une attention délicate : elles règlent l’addition sans prévenir. La serveuse hésitera à nous le signaler, prête à nous tendre une facture pourtant déjà payée…

Quelques mois plus tard, l’une des trois mormones, en mission dans les montagnes asiatiques, priera sur Facebook pour les nombreux Bouddhistes qui ont trouvé la mort dans le terrible séisme de 2015, tout en rappelant que c’est ce qui arrive quand on vénère des idoles païennes.

Le monde est bizarre.

Uyuni est bizarre. Tupiza est bizarre.

Nous avons quitté Uyuni dans un tacot de bus décoré comme un sapin de Noël ; difficile de trouver le sommeil dans le ventre de cette carlingue animée par la house music des années ’90 et par le clignotement des guirlandes qui entourent le pare-brise. Machu enfonce sa casquette sur ses yeux et trouve le sommeil au milieu de « This is the rythm of the night » mais Picchu se ronge les sangs. À intervalles réguliers, une paire de phares percent la nuit pour fondre sur nous comme des rapaces, avant de nous croiser au dernier moment.

Voilà que le bus s’arrête net. Panne technique. Le chauffeur devient mécanicien et ouvre le capot. Machu réveillé par l’immobilité en profite pour une petite pisse sous les étoiles. Restée seule parmi les hommes mâchouillant la coca, les matrones embaumant les herbes sacrées, et les gamins endormis dans l’allée du bus, Picchu est aux aguets. Soudain des coups retentissent dans la nuit. Les minutes s’éternisent. Bing ! Bang ! Quelqu’un est en train de foutre sur la gueule à Machu avant de le détrousser. Non, finalement le survivant remonte à bord et rassure sa moitié : ce n’était que le chauffeur-mécano qui réparait son moteur à grands coups de clef à molette.

Et nous voici à Tupiza. En attendant le grand départ vers le désert du Sud Lipez et le salar d’Uyuni, nous avons de quoi faire. Pour commencer, nous avons retrouvé... Alex !! Eh oui ! Nos chemins se sont séparés il y a deux mois à El Chaltén (vous vous souvenez ? Avec José, ils avaient réussi à se trouver un autostop et nous nous sommes fait des signes d’adieu de loin car il ne fallait pas laisser filer l’aubaine…). Communication à l’ère numérique aidant, nos chemins se retrouvent.

On n'a pas de photo pour illustrer ces belles retrouvailles alors voici un sachet de plantes pour lutter contre le cholestérol.

On n'a pas de photo pour illustrer ces belles retrouvailles alors voici un sachet de plantes pour lutter contre le cholestérol.

À Tupiza, nous reprenons où nous l’avons laissée la découverte du marché à la Bolivienne. Une rue très étroite où deux personnes ont du mal à se croiser et au milieu de laquelle coule une rigole de tout-à-l’égout nous emmène dans une sorte de souk. Des étals de légumes, certains inconnus au bataillon, toujours en maigres quantités, manifestement récoltés à la main par la vendeuse qui les dispose parfois sur ses genoux croisés. Des échoppes de vêtement, de jeux et jouets, de papeterie, beaucoup de produits d’importation chinoise et de la k-pop, la pop coréenne, à foison (ah les beaux calendriers à l’effigie des Justin Bieber coréens). Dans les ruelles du souk où deux personnes auraient du mal à se croiser, flotte une odeur âcre et indescriptible, qui s’intensifie jusqu’à ce qu’apparaisse une échoppe de produits de culte. Au-dessus des plantes aux vertus magiques et des offrandes bariolées, des fœtus de lama séchés de toutes les tailles sont suspendus comme des jambons. Les plus grands font une trentaine de centimètres. On enterre les fœtus de lama sous les maisons pour chasser les mauvais esprits.

Les vendeuses dans leurs chiffons nous adressent souvent des sourires et nos achats futiles destinés aux photos dans le salar d’Uyuni les amusent.

Notre grande auberge au style espagnol, simple, fraîche et claire, contraste avec les constructions anarchiques et empoussiérées de la rue. Il n’y a pas vraiment de supermarché, il n’y a que des petites boutiques, pas très aménagées ni fournies. Les pharmacies n’ont rien à voir avec ces supermarchés du médicament discount qu’on trouve au Chili, en Argentine ou au Brésil. Elles ressemblent à celles de chez nous mais version années ’60. Dans les magasins de meuble, tout semble dater des années ’60 également : déco, vaisselle, mobilier. C'est les trois épisodes de Retour vers le futur en un.

Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)
Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)

Il n’y a pas ou peu de publicités dans les rues. Il n’y a pas vraiment de restos, sauf pour les touristes ; on mange dans des sortes de cantines, des salons ouverts sur le trottoir avec quelques tables et un menu unique servi pour une poignée de bolivianos (1 ou 2€). Si vous commandez à boire, on vous donne la bouteille en plastique et vous pouvez repartir avec. Si vous commandez du jus, on vous sert du lait de soja aromatisé.

Marché municipal, tables couvertes de nappes cirées et travailleurs qui s’enfilent un bol de soupe. Les vendeuses deviennent cuisinières le temps de midi, chacune a son coin pour réchauffer de grandes casseroles dont elles soulèvent le couvercle sur demande pour nous permettre de faire note choix. La pomme de terre cuite « à cru » dans le grand froid des nuits des hauts plateaux, ressemble à un petit morceau de charbon.

Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)
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Autour de la ville, les montagnes forment un étonnant décor de western que l’on peut parcourir sur le dos de chevaux mal entretenus. La plaine alluviale où nous emmène notre guide à cheval est impressionnante. Il y a un siècle, c’est dans ce décor que l’armée bolivienne affirme avoir mis fin à la course folle des hors-la-loi Butch Cassidy et Sundance Kid, les célèbres braqueurs de trains.

Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)
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Nos chevaux n’ont pas l’air vaillant. Comme chaque fois que nous optons pour les offres les plus touristiques, nous nous heurtons au manque de scrupules des tour-opérateurs, mais souvent, quelque chose chez eux nous désarme : on exprime notre mécontentement, on s’attend à une réponse cynique, et on reçoit un regard déçu. Alors, étranger ignorant, ne sachant plus si notre jugement est fondé, on ravale notre critique. Qu’on est cons !

Machu tente un match de foot, mais à 2800m c'est pas facile. Le terrain est une grosse dalle de béton de 20cm d'épaisseur aux bords abrupts, il vaut mieux pas glisser. Après 15min, plus moyen de retrouver son souffle.

Dans le centre-ville, on retrouve quelques vestiges coloniaux, comme toujours. Une échoppe de bouquins sur le trottoir vend côte à côte un code civil et pamphlet sur les droits des femmes. En Bolivie, la violence conjugale est un véritable fléau.

Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)
Tupiza : le monde est bizarre (8/03 - 10/03)

La plupart des femmes ici portent les habits de la chola. « Chola » est un mot plein d’ambiguïté, au moins aussi riche de sens, socialement marqué et compliqué à utiliser que nigger en anglais. L’habit de la chola, c’est des jupons brodés ou à fleurs, chemise et cache-cœur de laine, des bas de laine dans des sandales de cuir, puis des tresses nouées à l’aide de bijoux et d’yeux de paon (contre les mauvais esprits !) sur le très large fessier, et surtout un chapeau d’homme qui a traversé les siècles. Souvent, la poussière s’est chargée de reteindre les tissus. Et leurs visages, où on ne reconnait rien, sont des mondes à eux seuls. Elles nous impressionnent. Elles font des drôles de manières. L’une d’entre elles fait la timide et les autres la poussent pour qu’elle se joigne à nous sur une photo. Elles rient comme des enfants.

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M
Ah maille....impressionnant et étrange à la fois.<br /> Je passerai mon tour quand on m'y emmènera.
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