Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)

Publié le par Machu y Picchu

Elle est loin l'odyssée tranquille du Sud Lipez ! En 72 heures plus étranges les unes que les autres, Potosí nous aura offert un tour complet de la rudesse de la vie andine et des héritages culturels boliviens. Auprès des touristes, la plus haute ville du monde fait miroiter deux atouts, sa mine d'argent et ses joyaux coloniaux ; pourtant, elle ressemble surtout à une grosse favela de 150 000 habitants. Dans un capharnaüm de mineurs qui rentrent du boulot à l'arrière des pickups, de cholas enfouies dans des couches du jupons, de bus aux moteurs ahanant et d'antiques machines minières qui hantent les faubourgs, surgissent quelques extraordinaires vestiges coloniaux, au bout de rues étroites et sans trottoirs, soulignant plus qu'ils ne dissipent l’atmosphère d’étrangeté, de mauvais rêve éveillé que dégage Potosí.

Depuis le toit de l'auberge, on aperçoit les reflets cuivrés du Cerro Rico et ses 4824m d’argent. À peine 800m sous son sommet, Potosì est l’une des plus hautes villes du monde. Photo : Charlène

Depuis le toit de l'auberge, on aperçoit les reflets cuivrés du Cerro Rico et ses 4824m d’argent. À peine 800m sous son sommet, Potosì est l’une des plus hautes villes du monde. Photo : Charlène

Il paraît que la route d'Uyuni à Potosí est magnifique. Machu, en tout cas, n'en saura jamais rien (mais il n'est pas le seul à se payer un petit somme en chemin).

Si les photos avaient une odeur, celle-ci sentirait l'alcool.

Si les photos avaient une odeur, celle-ci sentirait l'alcool.

Lorsque le bus quitte enfin son interminable zigzag mortel au creux des Andes, c'est pour traverser une interminable banlieue, qu'encombre un important rassemblement de tuning. Sur le trottoir, une chèvre achève de se vider de son sang en attendant d’être vendue. Lorsque le chauffeur nous fait descendre sur une espèce de station-service sans pompe à essence qui tient lieu d’arrêt, nous sommes bien obligés de nous rendre à l’évidence que cette banlieue n’est pas une banlieue, mais tout simplement la ville, et que ce rassemblement de tuning n’est pas un rassemblement de tuning, mais de simples véhicules particuliers garés le long des routes.

Photo : Alex

Photo : Alex

Carapaces fluos sur le dos, fraichement débarquée, la petite bande du salar traverse la marée humaine débordant des trottoirs. Les tacots et les bus en fin de vie, aux vitres recouvertes d’inscriptions en Chinois, déboulent dans tous les sens dans un concert de klaxons, sans faire trembler les chapeaux d'homme sur la tête des petites femmes assises parmi leurs paniers, au bord des trottoirs, occupées à héler les passants pour vendre leurs légumes. Deux types longent la route en transportant un évier. Un mannequin de vitrine déménagé à bout de bras nous coupe la route. À travers la fumée noire qu'un microbus exhale de son pot d’échappement vertical tel un vieux marin tirant sur sa pipe, apparait une foule amassée pour lire les petites annonces placardées aux portes d’une station de radio. Il y a une boutique pour chaque chose, de minuscules échoppes spécialisées dans les céréales ou les écrans d’ordinateur. Une statue grotesque d’un joueur de foot trône au milieu d’un carrefour. Tout le monde nous regarde, certains rigolent et d'autres refusent de nous répondre lorsqu’on demande notre chemin.

L'ascension des rues devient vite éprouvante. L'air manque et la pollution n’arrange rien, nos sacs semblent peser une tonne. Tirant parti du nombre, le groupe se sépare pour trouver une auberge. On vous passe les détails, mais mentionnons tout de même que les uns, restés pour garder les sacs, assisteront à un spectacle inopiné à base de Tarkan et de danse du ventre réalisée par des enfants, tandis que les autres, guidés par un Lonely Planet mal avisé, visitent des chambres miteuses, dont l'étrange odeur n'est pas prête de disparaître en l’absence de fenêtres!

Le soir tombe sans crier gare, jetant sur la ville un froid de canard. La fatigue se fait sentir. Finalement, nous nous trouvons une bâtisse rustique à l'andalouse, plus charmante que confortable. Il nous prend une envie de pantoufles et de coin du feu... En posant nos sacs, nos vêtements dans un état avancé de défraîchissement, nous rappelent qu'hier encore, nous dormions dans un hôtel de sel, avant de traverser le salar, de prendre le bus à Uyuni et de dormir sur nos sièges "semi cama", sans même une petite douche.

Le proverbe dit "Si tu es vilain, tu restes vilain, l'appareil photo n'est pas magicien." Eh bien, il en va de même si tu es au bout de ta vie.

Photo en bas à droite : AlexPhoto en bas à droite : Alex
Photo en bas à droite : AlexPhoto en bas à droite : Alex

Photo en bas à droite : Alex

"Je t'aime ma grosse". Les tags qui ne font pas référence à la religion chrétienne sont des déclarations d'amour."Je t'aime ma grosse". Les tags qui ne font pas référence à la religion chrétienne sont des déclarations d'amour.
"Je t'aime ma grosse". Les tags qui ne font pas référence à la religion chrétienne sont des déclarations d'amour."Je t'aime ma grosse". Les tags qui ne font pas référence à la religion chrétienne sont des déclarations d'amour.

"Je t'aime ma grosse". Les tags qui ne font pas référence à la religion chrétienne sont des déclarations d'amour.

"Zone touristique - Ne pas uriner ni jeter d'ordures"

"Zone touristique - Ne pas uriner ni jeter d'ordures"

Le jour venu, nous déambulons plus que nous visitons. Au détour d’une petite rue pavée, débarrassée de son nom espagnol et rebaptisée en quechua comme toutes les rues de Potosí, nous sommes emportés par une foule sortie de nulle part. Les femmes sont en habits traditionnels, les plus âgées avec de hauts chapeaux décorés, les plus jeunes en corsets et jupettes alourdis de perles et de franges. Devant le cortège de voitures décorées comme des sapins de Noël de chez Harrod’s, avec de gros rubans sur les capots, couvertes de tapis et d’argenterie, nous oublierions presque les somptueuses églises aux tympans ciselés.

Première volée de photos : Alex
Première volée de photos : AlexPremière volée de photos : AlexPremière volée de photos : Alex

Première volée de photos : Alex

Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)
Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)

On remonte le temps au couvent de Santa Teresa. Dans ce monastère étrangement froid, que les colons ont installé près des mines les plus lucratives du Nouveau Monde, les règles étaient drastiques. Pourtant, les moniales ont accumulé, année après année, siècle après siècle, une extraordinaire collection d’art, qu'elles tenaient à l’abri des regards jusqu’à il y a cinquante ans à peine et qui tranche violemment avec les principes carmélites. Pour cause : l'énorme dot payée (souvent en nature) par les familles des jeunes religieuses lorsqu'elles prenaient le voile. Et dans ce lieu où la crainte de Dieu, le silence, la chasteté, la pénitence planent encore comme un nuage à peine dissipé, nous découvrons des vases en cristal de Murano aux couleurs de fête vénitienne !

Au milieu de notre visite, l’orage éclate et la température baisse encore d'un cran à l'ombre des vieux murs. Nous ne voyons pas les rues de Potosí se transformer en rivières sous l'assaut des trombes d’eau. Les filles qui entraient ici, dans cette masse de pierre à 4000m d’altitude, étaient définitivement coupées du monde et il ne leur était plus jamais permis de sortir du couvent. Dehors, la ruée vers l’argent pouvait continuer sans elles. Les carmélites autorisaient de rares visites, derrière un voile opaque doublé d'une grille qui pointe ses herses vers les visiteurs pour les tenir à distance. Après leur mort, le corps des moniales était enterré sous le plancher de la chapelle, d’où elles profitent de la messe pour l’éternité.

Photo de la façade du couvent au fond de la rue : AlexPhoto de la façade du couvent au fond de la rue : Alex

Photo de la façade du couvent au fond de la rue : Alex

Retour vers le présent. Nous cherchons désespérément un café, un lieu où se poser. Ça n'a pas l'air de faire partie du mode de vie local. Les rues sont encombrées de petits kiosques en métal faisant une sorte de marché permanent. La nuit, leurs loupiottes diffusent une lumière faiblarde, éparse dans les rues parcourues de fils électriques.

L’urbanisme est totalement illisible. Les escaliers les plus dérobés, les portes les plus anodines mènent vers des lieux aussi essentiels que le marché couvert.

Dans les boutiques de disques, il n'y a pas un seul exemplaire orignal : on ne vend que des CDs de mp3 gravés glissés dans des sachets en plastique. Si on demande une musique particulière au vendeur, il répond « avec ou sans images ? » et ça veut dire : DVD ou mp3 ? Une autre manière d'acheter de la musique est de ramener sa clef USB que le vendeur te remplit. Ça s'appelle « bajar musica en flash memori [sic] ».

Et pour continuer ce catalogue d'impressions : la bouffe, c'est franchement pas la fête. Il n'y a, pour ainsi dire, pas de frigo. Ni dans les restos, ni dans les auberges, ni sur les marchés (principaux lieux d'approvisionnement pour tout le monde). Sur les étals, la viande pend sans moyen de conservation, à la merci des mouches et des pigeons. Notre réflexe prudent consiste le plus souvent à se rabattre sur des établissements créés pour les touristes : des végétariens douteux ou de tristes cantines à burgers. La principale alternative consiste à s'attabler dans un marché municipal, et de choisir l'une des préparations que des cholas gardent au chaud dans de grandes marmites. C'est souvent bien meilleur, mais pas toujours toléré par nos estomacs habitués à des normes d'hygiène plus exigeantes. Quoi qu'il en soit, depuis que nous avons quitté le Chili, nous n'avons pas cuisiné (!). Il faut dire que les restos les plus luxueux, ceux que le Routard classe parmi les "Prix moyens à Chic", oscillent entre 2,50€ et 5€ le menu. Forcément, les touristes ne se posent pas trop de questions, et du coup, les auberges ne sont pas équipées de cuisine à l'usage des voyageurs.

Photos du marché couvert : Alex
Photos du marché couvert : AlexPhotos du marché couvert : Alex
Photos du marché couvert : Alex

Photos du marché couvert : Alex

Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)
Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)
Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)

Comme si la montagne voulait rejeter un corps étranger, l’altitude nous fait sentir que nous ne sommes pas à notre place. Machu est le premier à flancher. Au fil du voyage, le mal qui rôde frappera ensuite toute l’équipe, l’un après l’autre, Picchu, Alex, Adrien, Thomas... mais jamais avec autant de vigueur. Fièvre, hallucinations. Machu passe la nuit à discuter avec le plafond.

Le lendemain, convalescent, il tente de rattraper le groupe parti à l’assaut des rues escarpées. Reprenant des forces sur un banc public, il est rejoint par un petit mec râblé et jovial qui accepte volontiers un morceau de pomme avant de se mettre à bavarder. «T’as pas l’air du coin. Tu devrais venir travailler à la mine, c'est super, on travaille que le matin et après on va boire des coups». Le salaire est bon, 750 bolivianos (80€) la semaine ; les mineurs bossent 4h par jour, pas plus. Dans la mine on tord sa chemise, c'est vrai. Mais les employeurs disent que la coca protège les poumons de la poussière - cette même poussière qui s’infiltre partout, qui bouche tout -, et puis, ils ont une mutuelle pour se faire soigner. Il n’y a que des avantages.

Potosí est fille de la mine. Fondée par les colons, pour les colons, pour vider le ventre de la montagne et emporter ses entrailles par bateaux, c’est une ville de métaux et de pierre. Son nom veut dire « tonnerre ». Alex est la seule à être descendue dans le ventre de la bête, au prix d'un tour organisé qui inclut, passage obligé, l'achat de clopes et d'alcool à 90° à offrir aux mineurs. Elle a noté ses impressions :

Bah oui, la mine quoi, vous pouvez imaginer, cette montagne de minerai, des jeunes, des vieux, qui mâchent la coca à longueur de journée, qui cassent la roche à coups de pioches, qui tirent des wagons, enfouis sous des mètres de terre. C’est Germinal, l’usure du corps, l’usure de l’Homme et toi tu es là. C’est aussi de la spéléologie, halte à ceux qui ne supporteraient pas de ramper sous la terre. (…) Il faut y descendre dans cette mine, y ramper, s’accroupir, se relever et faire face à El Tio, le gardien de la mine à qui il faut faire des offrandes, c’est lui qui protège les mineurs, et fertilise la terre du Cerro. Ce Cerro pillé par les espagnols durant 60 ans à la force du travail des Indiens, ces indiens meurtris. "Vale un Potosi" ; cela vaut un Potosi, "c’est le Pérou". Vous comprendrez que cette ville est riche d’histoire…

Alex n'est pas la seule à nous faire part de ses impressions. Charlène, de son côté, a capturé l'esprit de la ville en photos.

Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)
Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)
Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)
Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)Potosí : pas bonne pour la mine (15/03-17/03)

L'heure est déjà venue de refaire nos sacs. Puisque nous avons tous la même destination, le groupe s'embarquera ensemble pour Sucre.

Les premières difficultés du voyage en groupe se font sentir à la gare routière de Potosí, Colisée grandiloquent de parpaings et de briques, au milieu d'un quartier qui ressemble à une favela organisée.Sous l'énorme dôme en béton, les voix des vendeuses qui attirent les clients comme à la criée se mêlent en un écho constant, fatigant. Une dame sous un chapeau de Magritte et avec une dent en or nous réclame une pièce pour sortir du bâtiment, comme un caïd de cour de récré en plein exercice de racket, mais en plus placide et moins querelleuse. Il faudra un bon quart d'heure pour comprendre qu'il s'agit d'une simple taxe de voyage.

Pour passer le temps, rien de tel que de tenter de déchiffrer les panneaux traduits en quechua ou de lire les avertissements contre le trafic d'être humain réalisés sous Word 95.Pour passer le temps, rien de tel que de tenter de déchiffrer les panneaux traduits en quechua ou de lire les avertissements contre le trafic d'être humain réalisés sous Word 95.

Pour passer le temps, rien de tel que de tenter de déchiffrer les panneaux traduits en quechua ou de lire les avertissements contre le trafic d'être humain réalisés sous Word 95.

Nous avons beaucoup de mal à les comprendre et à nous faire comprendre, malgré la langue castillane en commun. Nous avons parfois le sentiment que la plupart des gens qui ne nous méprisent pas ont quelque chose à nous vendre. En même temps, à sept, nous devons avoir l'air de débarquer d'un autobus Neckerman.

Bref, en Bolivie, rien n'est facile... Et ce n'est que le début.

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M
C'est salé !!!!
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