Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico

Publié le par Machu y Picchu

Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico

Les billets de bus durement acquis nous permettent de rejoindre Los Antiguos, près de la frontière chilienne. On y arrive au petit matin, après un enième bus de nuit. De là, des navettes franchissent la douane et nous déposent juste de l’autre côté, dans un bled appelé Chile Chico, après avoir subi une dernière fois les formalités d’entrée au Chili.

Sur le quai du petit terminal terrestre de Paso de los Antiguos, la petite heure d’attente nous permet de faire la connaissance de quelques voyageurs, notamment un Israélien souriant qui nous en apprend un peu plus sur ses compatriotes voyageurs. En effet, depuis le début de notre voyage, et en Patagonie plus qu’ailleurs, nous n’arrêtons pas de croiser des Israéliens venus fêter la fin de leur service militaire. Souvent en groupe, rarement hispanophones, ils ont l’art de se faire remarquer dans les auberges et les bus, si bien que certains prestataires refusent systématiquement de les prendre en charge et nombreux sont ceux qui les fuient comme la peste. Même au sein de la vaste communauté des routards, la discrimination règne, une discrimination qui repose moins sur des a priori que sur les mauvaises expériences répétées des voyageurs. Notre copain nous explique que si les Israéliens sont si nombreux dans le sud de l’Amérique du Sud, c’est probablement un phénomène de mode ; et puis, de toutes façons, « il n’y a rien à voir en Europe ».
Sur le quai, un autre couple attend la navette : ce sont Raphaël et Nathalie, deux Canadiens amoureux de rando et de nature sauvage. Raph trimbale un très beau charango (instrument traditionnel péruvien cousin du ukulélé), ce qui a le don de créer des liens.

Le hasard veut que ce ne fût pas la première fois que nos chemins se croisaient. La veille, dans un petit café d'El Chaltén, on avait déjà échangé quelques mots avec Nathalie, tout de suite charmés par son accent à la fois anglais et québécois : Raph vient du Québec et Nathalie de la partie anglo-saxonne du Canada, ce qui explique son charmant accent (d’ailleurs, c’est marrant, lorsqu’elle parle espagnol, c’est son accent francophone qui domine, ayant également appris cette langue avec Raph !).

La navette arrive enfin et, ensemble, nous nous tapons une toute dernière fois les très chiantes procédures douanières, ce qui a le don de renforcer les liens créés. Un malheureux paquet de fruits secs, malencontreusement oublié par l’Israélien, ne passera pas la frontière avec nous. Avant que les douaniers ne l’aspergent d’acide, Raph et Machu parviendront quand même à en déglinguer un bon nombre. Encore une belle démonstration d’autorité de la part de nos amis chiliens, et ce ne sera pas la dernière ! Bon, c’est vrai que la rigueur de la douane (sous les ordres du ministère de l’agriculture) a du bon – on  en reparlera – mais ce qui  nous frappe, c’est surtout la manière : une petite femme en blouson, lunettes noires genre Chips et gants en plastique, armée d’une bouteille d’acide pour détruire les produits organiques interdits de séjour, nous lance sur un ton de réprimande une phrase lourde de sous-entendu et qui reviendra souvent, sans que jamais nous n’en comprenions vraiment le sens : « ici, c’est le Chili ».

Une fois à Chile Chico, au Chili, l’entente est suffisamment bonne pour commencer à faire des plans ensemble. La région n’est pas facile à parcourir, les bus ne courent pas les routes. Au programme des prochaines semaines : la fameuse carretera austral, voie mythique qui traverse la Patagonie chilienne. Pour toute mythique qu’elle est, la carretera austral n’en reste pas moins une route de rípio, c’est-à-dire de cailloux et de terre, où les bus ne s’aventurent que quelques fois par semaine pour parcourir des distances réduites. Nous avons intérêt à voyager en groupe, car bien souvent il faut compléter les trajets avec des transports privés, plus chers. Avec Raph, Nath et quelques autres voyageurs, nous nous mettons d’accord sur une destination commune : Puerto Rio Tranquilo et ses « chapelles de marbre », une merveille naturelle perdue parmi les lacs.

Le groupe s’organise, les tâches se répartissent : les uns veillent sur la montagne de sac à dos qui garnit désormais un coin de trottoir ; les autres vont démarcher les agences touristiques. Après une heure de recherches, les plans tombent finalement à l’eau. Tout le monde ne dispose pas du même temps pour voyager. Problèmes de logistique : cas d’école. Seuls le rythme de voyage de Raph et Nath est compatible avec le nôtre et on s’entend déjà très bien. C’est ainsi que naît notre petite équipe.

"Notre petite équipe", la veille de se dire aurevoir... trois semaines plus tard ! Photo de Raph

"Notre petite équipe", la veille de se dire aurevoir... trois semaines plus tard ! Photo de Raph

Le prochain bus qui va à Puerto Tranquilo part lundi. On est vendredi. On fera donc une moitié du chemin, jusqu’à un bled nommé Puerto Guadal, avec le prochain van vers le nord. Personne ne sait nous dire exactement à quelle heure il passe, il n’y a pas vraiment d’arrêt ; nous savons juste qu’il empruntera la rue principale un peu plus tard dans l’après-midi. Ça démarre bien !

L’heure a tourné et nous sommes tous les quatre d’accord pour dire que l’urgence est à la bouffe. Dans un petit resto aux toiles cirées, au bar en bois exotique et au décor complètement kitsch et loufoque, résonne la version en espagnol de « Nathalie » chantée par Bécaud lui-même. Les plats, tout en étant d’inspiration péruvienne, mettent tout de suite au défi la mauvaise réputation du Chili en matière de gastronomie. C’est le proprio qui nous sert, polo rouge impeccable, cheveux gominés, traits fins, rides annonçant l’âge de la retraite ; il joue un jeu de pince-sans-rire tout en veillant sur nous avec des yeux de grand-père. Quand Picchu lui demande de clarifier le contenu de son assiette, il lui répond imperturbable : « Tais-toi et mange » ; ensuite il nous recommande d’attacher notre amie Nath « parce qu’elle est folle » ; il refuse de lui servir son dessert tant qu’elle ne vide pas son assiette.

Il nous oblige ensuite à chanter tour à tour une chanson de notre pays. Raph et Nath se lancent sans hésiter : leur spontanéité nous impressionne. Nath a une très belle voix. Nous hésitons un peu plus avant de nous lancer à notre tour. En partant, le proprio nous couvre de recommandations et nous serre dans ses bras pour nous souhaiter un bon voyage. Machu lui laisse le chapelet en bois qui barakise son cou depuis les Torres del Paíne.

Nous nous embarquons vers Puerto Guadal, un joli bled perdu au bord du splendide lac General Carrera. Sur la carte argentine, cet énorme bassin qui traverse la frontière porte le nom de lago Buenos Aires ! Le petit van se promène sur les routes en terre à travers des décors somptueux : le lac bordé de montagnes est parcouru d’îlots rocheux. Les forêts de pin, la neige à l’horizon, le ciel bleu : tout un décor de peintre paysagiste.

 

Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico
Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico
Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico

Comme il ressortira d’une discussion un peu plus tard, l’absence d’asphalte s’avère providentielle pour la région, qui s’en trouve un peu préservée du tourisme toujours croissant et des travaux pharaoniques que le gouvernement projette sans parvenir à les mener à bien. La construction de barrages permettrait d’alimenter en énergie propre une bonne partie du pays, mais détruirait le paysage et l’écosystème de cette énorme région coupée du monde. Les barrages feraient beaucoup plus de mal que de bien, c’est l’avis de nombreux habitants lucides réunis sous la bannière « Patagonia sin represas ». Notre ami Raphaël partage leur avis, lui qui est spécialiste en matière d’énergies renouvelables et parcourt le monde pour mettre en œuvre des projets écoresponsables.
Nath, de son côté, est prof et organise des camps de vacance axés sur l'apprentissage du leadership. Et ça se voit ! Sa capacité à motiver et souder un groupe est étonnante. Elle aussi est extrêmement sensible aux questions environnementales et rôdée à la vie en plein air.

Raphaël et Nath ont entendu parler d’un projet écologique à Puerto Guadal. Le van nous dépose sur la route, un peu avant l’entrée du village. Avec notre bonne douzaine de kilos sur le dos, nous nous enfonçons dans la campagne. La côte est raide mais on est enthousiastes, ressourcés par la beauté sauvage de cette nature. Après quarante minutes de marche entre les champs, apparait un portique surmonté d’une pancarte qui indique que nous sommes bientôt à destination : la pancarte dit « Un lugar no turistico ». Au-delà du portique, les voitures ne sont pas les bienvenues. Tandis que nous traversons la propriété sauvage, les oiseaux volent au-dessus de nos têtes. Des petites pancartes indiquent le nom des plantes, ou nous invitent à la contemplation ; tout au bout du chemin, la bienveillance des propriétaires des lieux se trouve matérialisée sous la forme d’un banc à l’attention des voyageurs épuisés.

Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico
Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turísticoPuerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turísticoPuerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico

Arrive Rossio, tout sourire, qui nous salue gaiement avec ses airs d’enfant et son panier de haricots sous le bras. Commence alors un flot de paroles ininterrompues. Elle nous invite à laisser nos sacs à dos et nous fait le tour du propriétaire, en nous expliquant toutes les techniques mises en place pour exploiter les énergies renouvelables et limiter notre impact écologique. C’est fascinant. On est loin de l’écologie casse-couille et rabat-joise : ici tout est positif, tout repose sur l’extraordinaire sensation de bien-être née de l’harmonie avec la nature. En un rien de temps, on se trouve complètement libérés de ce mélange malsain d’irresponsabilité et de culpabilité qui caractérise notre rapport  à la nature. Après deux nuits, notre poubelle restera vide ; nous mangeons les légumes de la ferme voisine ; les toilettes sèches fournissent l’engrais du jardin ; les douches fonctionnent à l’énergie solaire ; le frigo exploite le vent froid de Patagonie ; le pain est cuit au soleil ; nos bouteilles en plastique sont récupérées pour réchauffer la serre… On se sent tellement bien. Aucun autre touriste ne viendra dans l’hostel pendant notre séjour. On avait l’auberge pour nous tous seuls. Notre petite cabane dans la montagne.

Rossio nous recommande de faire la connaissance des habitants du village. Nous profitons du temps extraordinaire pour nous promener sur la colline, entre les vaches, les champs, et avec en toile de fond le splendide lac, les sommets enneigés, les forêts de pin. Dès le premier jour, nous goûtons le nectar de la Patagonie chilienne, plus préservée, plus pure que sa voisine argentine parcourue par les routes d’asphalte.
Nous ne tardons pas à croiser une petite maison de campagne entourée de poules et de chiens sauvages. Nous frappons à la porte de bois et une petite dame vient nous ouvrir avec le sourire. Elle nous accueille dans sa cuisine exiguë, tout droit sortie du début du siècle passé. Le poêle à bois, les broderies, l’austérité du mobilier, les odeurs nous plongent dans un univers figé. Le mari, taciturne sous sa casquette enfoncé, ne bouge pas beaucoup de la TV, rare signe de modernité dans le salon. Dans un coin de la pièce trône un beau rouet et la vieille nous fait une démonstration de filage après nous avoir fait visiter le jardin potager. Elle nous fait gouter à tout ce qu’elle peut : les groseilles de la taille d’un gros raisin, les cerises, la rhubarbe, et nous emportons encore des haricots, du cilantro, cette herbe à mi-chemin entre le persil et la coriandre qui parfume presque tous les plats chiliens (et qui, manifestement, ne fait pas l’unanimité : http://ihatecilantro.com/).

La petite dame a l’air bien contente de notre visite. Nous sommes fascinés par la sérénité du lieu ; mais en fait, elle, elle s’emmerde. Elle nous le dit franchement, elle rêve de vivre la vie de ses enfants qui sont partis pour la ville. Elle tente de nous retenir autant que possible, nous propose un maté, soigne les piqûres de taons qui couvrent les jambes de Picchu avec du chimichurrí maison (oui, du chimichurrí, cette sauce à base de persil, d’ail, d’huile d’olive et de piment qui accompagne les viandes chiliennes et argentines !) qu’elle garde dans une petite bouteille en plastique ; elle incite Picchu à essayer ses mantas tissées à la main… Nous la quittons finalement non sans emporter un sac rempli de fruits et légumes fraîchement cueillis. La soupe de ce soir promet…

Photo du milieu de RaphPhoto du milieu de RaphPhoto du milieu de Raph

Photo du milieu de Raph

Plus tard dans l’après-midi, nous descendons au village, en bord de lac. Les poules qui courent un peu partout, les maisons de tôle : c’est le bled. Et c’est super mignon. On s’arrête dans un petit café qui a le wi-fi (le wi-fi ! c’est une denrée rare par ici…). L’endroit est atypique : ambiance chalet de montagne, pin sur les murs, c’est une jeune Hollandaise récemment débarquée qui tient le comptoir. Elle nous dit en toute honnêteté que la moitié des boissons sur la carte, elle ne sait pas les préparer, mais qu’elle va essayer ! Il y a même écrit « si vous avez des idées, n’hésitez pas » et quelqu’un a écrit au bic en dessous « du vin chaud ! du vin chaud ! du vin chaud ! ». Picchu lui commande un café glacé et la serveuse avec son air rieur et ses pommettes rouges lui répond : « D’accord… Heu, est-ce que vous savez comment on fait un café glacé ? » Elle sort acheter des bananes pour le milkshake de Machu et de la glace pour le café de Picchu… et quand elle revient, elle nous fait des merveilles !

À la table d’à côté, un Malinois avec les cheveux de Fellaini.

La ballade se poursuit au bord du lac, parmi les quelques pêcheurs baignés par la lumière du soir. Raph et Nath nous font voyager au Canada. Ce sont des esprits éveillés, des curieux, des amoureux de la nature, des enthousiastes, des optimistes, des débrouillards. On le sent : bonne ambiance assurée pour les semaines à venir. Mais aussi bonne bouffe : nos amis sont de bons vivants et de bons cuistots !

Ce soir, le bouillon de légumes du jardin est à se rouler par terre. Il n’y a personne d’autre que nous dans la cabane du lugar no turístico et nous passons une délicieuse soirée à la lumière des lampes solaires. C’est trop le fun ! Mais demain, déjà, on reprend la route.

 

Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico
Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turísticoPuerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico

Il est très tôt. Nous avons remis notre grosse douzaine de kilos sur le dos et nous descendons vers le village endormi. Il ne faut pas traîner si nous voulons parvenir à la carretera austral, qui n’est plus qu’à quelques kilomètres. Pas de transport prévu, il faut compter sur le stop. Nous nous montrons optimistes, mais la chance nous le rend mal. Les véhicules sont rares et toujours pleins. Machu essaie de jouer Jeff Buckley sur le charango de Raph, Nath nous prouve à nouveau ses qualités de chanteuse. On est décidés à pas se laisser abattre…

Puerto Guadal (23/01-25/01) : Un lugar no (muy) turístico

Bientôt il faut s’y résoudre : personne ne nous prendra. Ça fait deux heures qu’on attend et on risque de manquer le bus censé passer à 10h30 sur la carretera austral. On entame donc une longue marche ralentie par le poids des sacs. Or, comme dit le proverbe, « marmite fixée jamais ne bout » : c’est au moment précis où nous abandonnons l’idée de l’autostop qu’une voiture s’arrête. Une toute petite voiture de ville pourtant… Blanche qui plus est (car selon Raph, les voitures blanches ne s’arrêtent jamais). La place du mort est occupée par son fils, ce qui nous laisse la banquette arrière et un tout petit coffre pour nous caser tous les quatre ainsi que nos mochilas ! Le folklore, quoi ! Serrés comme des sardines avec une sangle dans la gueule et le manche du charango dans la nuque, nous nous enfonçons parmi les montagnes. La conductrice est une vraie cool, elle nous donne un aperçu de l’ambiance décontractée de Valparaíso – une ville que l’on visitera dans… longtemps…

Elle nous laisse au croisement avec la route australe. Il faut espérer attraper le bus de 10h30 – si vraiment il passe à 10h30… Il est 10h28. Est-il déjà passé ? Le suspense est insoutenable mais ne dure pas longtemps : un bruit de moteur s’approche et bientôt apparait la guimbarde. On lance des cris de joie, on se fait des give me five avec nos cookies (Nath a toujours des cookies) et on pique une pointe pour arrêter le bus. En route vers Puerto Rio Tranquilo !

Ce que Nath a dit ce matin-là est tellement vrai : on se connait depuis 24h et c’est comme si on était amis depuis toujours. Dans les jours à venir, quand notre moral sera rudement mis à l’épreuve, nous aurons l’occasion de vérifier l’énergie positive au sein de notre groupe…

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M
Oui c est vrai ça qu avez vous fait comme duo?
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M
La question est ... Quelle chanson avez-vous chantée? :D
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