Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée

Publié le par Bruxelas Multiplas y Picchu

Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée

Ça sent le pingouin. Y a pas à dire, ça sent le pingouin dans la salle de bain. Ça vient de nous et pour cause, on a passé la journée parmi ces sympathiques palmipèdes. Puerto Deseado, contrairement aux dires du Lonely Planet, est une laide petite ville flanquée d’un port encore plus laid, un bled idiot sans transports en commun où l’on se rend en taxi au seul supermarché et où ne mange pas les produits de la mer, parce qu’ils sont principalement destinés à être exportés vers Buenos Aires. Cependant, pour admirer la faune de l’Atlantique, cette petite ville portuaire constitue un point de chute alternatif au très touristique Puerto Madryn, sur la péninsule Valdés. À cette époque de l’année, où les baleines et les orques ont mis les voiles, il y a peut-être plus à voir ici, et surtout beaucoup beaucoup moins de touristes.

N’empêche qu’avec Ludovic et Amélie, en arrivant au milieu de la nuit, on se demande ce qu’on fout là. Sur notre demande (mal renseignés qu’on était), le bus nous largue au bord d’un rond-point paumé à l’entrée de la ville, qui sur la carte semblait fort proche du camping et qui en réalité ne l’était pas. Notre route plonge dans l’obscurité, au milieu de la steppe et peut-être des pumas, ce qui n’a rien de rassurant quand 5 km vous sépare de votre destination, qu’il est 11h du soir et que 15 kg de bagages pèsent sur votre dos. Finalement, un taxi nous emmène. Il sort de la route pour prendre un petit chemin au bord du port. À cette heure de la nuit, sur le quai, dans la lumière blanche des spots, les grands bateaux de pêche rouillés en restauration ont un air fantomatique. Il règne dans l’air une drôle d’ambiance de bout du monde tout à fait justifiée puisque la première grande ville se trouve à 200 km. Imaginez que pour faire une radio des dents, un mec nous explique qu’il doit rouler 3h aller et autant retour.

Mort comme un boliche à 3h de l’après-midi, le petit camping coincé entre deux parois rocheuses est abandonné par son propriétaire parti manger « en ville ». Nous découvrons sans lui notre cabaña, une minuscule maisonnette qui a dû être correcte un jour. Le plus difficile à supporter est l’odeur. Machu – rebaptisé « Bruxelas Multiplas » par l’éminent guichetier des bus qui a ouvert son passeport à la mauvaise page et a pris les données de son visa pour le Brésil pour un nom (?!) – bref, donc, Bruxelas Multiplas n’y tient plus, il plante la tente devant la porte. Après deux jours de bus ponctués par une étape peu engageante à Sarmiento, se retrouver dans ce coin miteux n’a rien d’enthousiasmant. Là, transis de froid, morts de fatigue, affamés, encerclés par les loups, poursuivis par les villageois en colère, guettés par les vautours, menacés par les milices révolutionnaires, nous sommes gagnés par une sorte de ferveur désespérée et faisons le serment de toujours, toujours nous en tenir à la plus stricte vérité quant à nos mésaventures finissons par renoncer et rejoignons les lits à la propreté douteuse de la cabaña, prenant soin de ne pas laisser un centimètre carré de peau dépasser de notre sac de couchage.

Le réveil est beau. Nous ne tardons pas à plier bagages pour trouver meilleure piaule. Nous découvrons un port industriel aussi charmant qu’une banlieue de Charleroi. Bientôt, c’est la ville à proprement parler et en ce dimanche gris et froid, elle n’est pas beaucoup plus attirante. Perchée sur un plateau au-dessus de l’embouchure du rio Deseado, elle aurait pu avoir l’aura d’une ville bretonne ou irlandaise, n’eussent été les maisons de contreplaqué et de taule, la rareté des commerces et l’ambiance morne.

Quelques particularités rendent pourtant l’endroit intéressant. Darwin y fit escale et y décrivit une espèce de ñandu – un voisin de l’autruche (Wikipédia). Autre fait intéressant, une épave a été découverte au début des années 1980 dans les eaux de l’estuaire, celle de la caravelle anglaise Swift qui avait coulé en 1770. L’histoire des naufragés est fascinante : à cette date, les premiers habitants de Puerto Deseado courent encore dans les jupes d’Abraham mais les matelots du Swift avaient jeté l’ancre non loin des côtes pour se remettre d’une tempête. C’est alors que le bateau heurta un récif de la côte encore mal cartographiée. Une grande partie des membres de l’équipage parvinrent à rejoindre le continent, les autres périrent. Perdus au milieu de la Patagonie, sans navire, ils envoyèrent sept d’entre eux à bord d’une chaloupe de fortune sur les eaux de l’Océan, espérant qu’ils ramèneraient de l’aide des Malouines – à des centaines de km au large. Est-ce que tu crois qu’ils l’ont fait ? Oui, ils l’ont fait, mais ils se sont arrêtés là. Par contre ils ont envoyé du secours et tout le monde vécurent heureux.

Revenons-en à nos pingouins. Nous marchons des heures sans trouver un logement disponible et décent. C’est déjà l’après-midi lorsque nous découvrons les jolies cabañas de Roberto, hôte court sur patte à la langue bien pendue très intéressé par tout ce qui vient de l’étranger. On est enfin posés, l’endroit est excellent mais on commence quand même à se demander ce qu’on fout dans ce bled, à des centaines de kilomètres de tout. D’autant que le ciel reste plombé. La réponse s’impose à nous le lendemain…

Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée

De bon matin, une vingtaine de touristes tôt levés se pressent à bord du zodiac qui nous emmène en mer. Róxana, notre guide, pleine d’entrain et multilingue, attire notre regard sur les mouettes qui fondent sur les poissons comme des rapaces sur des mulots ; et déjà, le long de la côte, une colonie de pingouins prend le soleil. 20 km plus loin, nous approchons une petite île flanquée d’un phare abandonné. Une colonie de lions de mer se prélasse sur un rocher.

Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traverséeSarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
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Soudain, quelqu’un pointe du doigt vers le large d’un air excité. Ça pourrait être un orque, mais la guide n’ose pas trop s’avancer : ici, les orques sont beaucoup moins fréquents qu’à la péninsule Valdès. Javier, le pilote, nous demande de nous asseoir, tape une pointe dans la direction indiquée, coupe le moteur ; les sens aux aguets, tous les passagers contemplent les eaux calmes de l’océan. Soudain, on aperçoit une nageoire, puis une deuxième. C’est l’effervescence. La guide et le pilote eux-mêmes sont super emballés : il s’agit d’un couple d’orques, qui passent de longues secondes sous l’eau avant de réapparaître un peu plus loin. Javier prend soin d’anticiper leurs déplacements pour les observer au plus près. Les beaux animals bondissent à bâbord, puis à tribord, avec chaque fois un peu plus d’élan, jusqu’à apparaitre tout entiers hors de l’eau.

Photos Darwin expéditionsPhotos Darwin expéditions

Photos Darwin expéditions

C’est à ce moment-là que la famille d’Allemands qui occupe les 6 meilleures places à l’avant du bateau (autrement dit les plus houleuses) fait signe à la guide que ça va maintenant on file vers l’île parce que leur gros fils a un peu mal au ventre – lequel gros fils ne tarde pas à remettre son petit-déj’ aux poissons (pour autant le sagouinfre ne se privera pas de dévorer la moitié des sandwiches du midi prévus pour le groupe). Cette famille-là s’est fait des amis.

Ainsi donc, nous découvrons la fameuse « île aux Pingouins ». Un petit paradis préservé. Les chasseurs du début du siècle passé avaient commencé à installer leur campement autour du phare pour dépecer tranquillement les lions de mer, dont la graisse servait à la fabrication des bougies ; mais leur entreprise infructueuse prit fin avant d’avoir épuisé les ressources de l’îlot. C’est le nombre réduit de touristes dans la région qui nous permet de nous promener parmi les pingouins sans craindre de trop les déranger. Ce côté de l’île est habité par une énorme colonie de pingouins de Magellan. Pas farouches, certains nous coupent la marche pour traverser le chemin ; on les voit se bousculer sur les cailloux, trébucher, nourrir leurs familles, repousser les cormorans trop curieux. La terre caillouteuse recouverte d’herbes jaunes, l’eau émeraude de l’Atlantique et au loin les falaises de la côte offrent un décor somptueux.

Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée

Une autre espèce habite l’autre versant de l’île, les pingouins penachos amarillos ou Gorfous sauteurs (qui effectivement ont leur manière à eux de sauter de caillou en caillou), qui portent une jolie frange jaune en couronne et qui n’habitent que cette seule région du monde, ou presque. Nous prenons le maté en admirant le spectacle, heureux. Or, « le maté, c’est l’inverse de la télé, ça fait discuter quand on est plusieurs et ça fait penser quand on est seul. » On fait la connaissance de Libertad, Roque Edouardo et leur petit garçon. Ce couple dégage quelque chose de très positif, démontre un goût du partage très argentin. Ce n’est pas la dernière fois qu’on les verra…

Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée

Notre bonheur ne s’arrête pas là. Si, en revenant des six heures d’excursion, à bord du Zodiac, nous avions bon espoir de croiser des dauphins, nous n’aurions jamais osé espérer voir une demi-douzaine d’entre eux venir jouer à portée de bras. Cinq toninas noir et blanc et un dauphin austral nous escortent jusqu’à l’estuaire.

Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traverséeSarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée
Sarmiento & Puerto Deseado (26/12 - 30/12) : la grande traversée

Après cette expérience unique, on oubliait presque les trois jours précédents : passer des heures dans des vieux bus délabrés à traverser le pays de part en part, s’arrêter dans un motel pourri dans la laide ville de Sarmiento, dormir dans un camping plus que merdique, faire trois fois le tour de Puerto Deseado avec nos sacs sur le dos… Toute cette galère venait enfin de prendre sens !

La route depuis Esquel jusqu’à Puerto Deseado, c’est-à-dire de la Cordillère à l’Océan, n’avait été qu’une longue ligne droite au milieu de rien. À gauche, la steppe s’étendait jusqu’aux montagnes ; à droite, elle s’étendait à l’infini, littéralement à perte de vue, comme une mer de plantes sèches. Il n’y a pas beaucoup de façons de traverser le pays. En Patagonie, il y a bien un train à vapeur qui continue de rouler (et pas seulement pour les touristes !), mais il ne fait que relier Bariloche à Esquel ; quant aux lignes d’avion, elles passent presque toujours par la capitale.

Le bus progressait lentement sur le ripio, le chemin de terre et de cailloux. À mi-chemin, nous avions passé la nuit à Sarmiento, ville pétrolière sans aucun charme. C’était moche, ça puait, on aimait pas. Pas du tout. C’était la première fois qu’une ville argentine nous plaisait aussi peu. Fallait bien une première. Les maisons sans âme se succédaient le long du damier de rues et il semblait ne rien à avoir à faire dans ce bled. Le soir, on avait avalé un burger sur une des tables en plastique du seul bar ouvert, une salle de billard glauque sans autre décor que des murs blancs et un jukebox qui jouait beaucoup trop fort. Notre partie de pool américain sur fond de Rammstein avait quelque chose d’incongru.

Le lendemain matin, un tac’ nous avait emmenés au bosque petrificado, le principal ­– le seul – attrait des environs. À travers les fenêtres du tacot, nous regardions défiler les puits de pétrole, qui semblaient sucer sans répit les entrailles de la terre. Le bahut nous avait laissés au bord du parc national, une vallée désertique. La maison solitaire du guardaparque se dressait au milieu de la planète mars. Y avait vraiment que dalle à part du vent et un clébard endormi sur le porche.

Nous avions suivi le chemin qui traversait le bois pétrifié. Dans ce paysage de mort au relief étrange, modelé comme une plasticine pâle par un dieu éthylé, des milliers de troncs gisent depuis… 65 millions d’années. Ça leur a laissé le temps de perdre toute composition organique et de prendre une structure moléculaire semblable à celle de la roche. Parfois, les sédiments solidifiés ont enveloppé des troncs entiers d’un énorme sarcophage de pierre. On imagine facilement les dinosaures déambuler dans ce décor hostile, mais en réalité à leur époque se dressait là une forêt luxuriante, celle-là même dont nous voyons le cadavre momifié gésir dans le désert qui s’étend devant nous.

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Même si le lieu est époustouflant, nous n’avions pas vraiment l’esprit tranquille pour en profiter, car le chauffeur nous attendait. En une heure, emballé c’est pesé, il fallait avoir tout vu tout visité. De retour à la ville, on fonçait au terminal et c’était reparti pour bouffer des kilomètres. C’était devenu une habitude. Encore des milles et des milles de steppe inhabitée, putain c’est grand l’Argentine.

Sur notre demande (mal renseignés qu’on était), le bus nous avait largués au bord d’un rond-point paumé à l’entrée de la ville… Ah, mais vous le savez déjà.

***

Ainsi notre extraordinaire expédition avec les pingouins est partie du mauvais pied. Nouvel an approche maintenant et on n’a nullement l’intention de le passer à Puerto Deseado. On décide de rejoindre Ingeburg à Punta Arenas, au Chili, même si l’idée est un peu folle. C’est même une idée complètement saugrenue, mais ça vaut le coup. Nous nous séparons de Ludo et Amé qui, eux, passeront le nouvel an dans une des belles cabañas de Roberto décorées d’objets anciens et entourées d’animaux.

Ainsi, une fois de plus, après un peu plus de 24h à bord non pas d’un, ni de deux, mais de trois bus différents, on retrouve Ingeburg, qui, comme d’hab’, nous attend tout sourire ! Mais ça, c’est pour le prochain épisode.

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L
Que linda excursion la de puerto deseado con los pingüinos de penacho amarillo, las orcas y ustedes!
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M
Gracias por este lindo encuentro chicos. Fue un día maravilloso con ustedes!
M
Avec ma nouvelle Macaca c est un plaisir de vous lire et de vous imaginer.on demande la suite....
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