San Pedro de Atacama : PARTIE I. Débuts difficiles (1/03-5/03)

Publié le par Machu y Picchu

Nous nous sommes tus depuis quelques kilomètres et personne n’ose dire un mot. Tout autour de nous, jusqu’aux pieds de montagnes si lointaines qu’elles ressemblent à du brouillard, ce n’est que la terre et le sel, le sel et la terre. L’air s’est épaissi et le sol a disparu sous des milliers de reflets ; face à nous le soleil enfle comme s’il allait tout engloutir. Nous aimerions pouvoir l’empêcher de poursuivre sa course. Le temps tourne infiniment plus vite que le moteur. Le gros pick-up rouge dérape sur la piste chaque fois que l’aiguille du compteur dépasse les 80km/h. Les baffles se mettent à vibrer des assauts lancinants de Julia Holter et nous nous retrouvons transportés dans un rêve collectif. Le ciel, la terre salée, l’air se mélangent en une pâte sonore qui se referme derrière nous à mesure que nous la pénétrons.

C'est alors, juste à temps, qu'une flèche de feu lancée sur un décor de neige : le vol d’un flamant...

San Pedro de Atacama : PARTIE I. Débuts difficiles (1/03-5/03)
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1.    Calama

« Paumée au milieu du désert d’Atacama, à 2 260 m d’altitude, la capitale minière du Chili est une ville sans aucun charme, chère et même plutôt glauque. Pour tout vous dire, alors qu’on est globalement bien accueilli partout, il y a ici un je-ne-sais-quoi d’agressif dans l’air : les voitures déboulent à tombeau ouvert et la ville est parcourue par des bandes de chiens errants qui semblent tout droit sortis d’un Mad Max chilien… » C’est dans le Routard. Sérieux. Mot pour mot noir sur blanc. Mais Calama est un passage obligé, faute de connexion directe entre Puerto Varas et le petit village de San Pedro de Atacama. Le désert, notre dernière étape au Chili. Après les glaciers, les volcans et les montagnes aux crêtes blanches, les lacs d’altitude, les forêts d’araucaria, les arbres centenaires, les stations balnéaires, les terres humides de Chiloé, c’est la région la plus sèche du globe qui nous attend. Oui, on se répète, mais le « pays le plus étroit du monde » est vraiment la terre de tous les extrêmes.

Une nuit dans le bus – encore une – on se réveille sur le parking. Alors déjà, après une nuit dans un bus, on n’a jamais une pêche d’enfer (même si on s'est laissés aller à une compagnie de luxe). Ensuite, on finit par comprendre après de laborieuses discussions que la gare routière où on a atterri n’est pas celle de la ville mais seulement celle de notre compagnie de pètes-culs qui ne va pas dans le désert. Donc il faut se taper le centre pour trouver un transport vers San Pedro (oui parce que, évidemment, les compagnies de luxe elles veulent pas se mélanger avec la pègre, c’est BEAUCOUP plus chic de débarquer dans une banlieue résidentielle pourrie à une demi-heure du centre). Ça a l’air de rien comme ça, mais replaçons dans le contexte : rien que pour obtenir ces bribes d’infos, il faut parvenir à communiquer avec le Chilien derrière le bureau d’information, et communiquer avec un Chilien, c’est pas facile (surtout derrière un bureau d’information). Et puis après, tu n’es jamais qu’à moitié renseigné, faut encore comprendre le fonctionnement de cette ville de merde. Quel bus ? Quelle direction ? Où est l’arrêt ? Bien entendu une aubette avec un plan de la ville et les horaires, c’est de l’utopie.

Oui, on est de bonne humeur ce matin.

Les terminaux des différentes compagnies, des terrains vagues encombrés de vieux bus, s’alignent le long d'une avenue hostile. On cherche un départ aussi imminent que possible, en charrette à bœufs s’il le faut. Mais on ne trouve que des guichets ou des visages fermés. Plus aucun départ prévu pour aujourd’hui. Midi approche et nous sommes deux âmes désespérées lestées de carapaces fluo dans une avenue glauque, exaspérées de s’entendre dire qu’on peut toujours aller demander en face. Et ce geste de la main incompréhensible qui ressemble à une crise d’arthrite, censé indiquer la direction à prendre. On nous répète : « Faites attention aux pickpockets et aux assaltos ». Partout, des affichettes à l’attention des voyageurs recommandent de surveiller ses bagages. Le Routard confirme : « On nous signale des vols et des agressions la nuit, à proximité des terminaux de bus. Soyez vigilant ! » .

Le charme de cette ville !

Alors imaginez-vous que dans un contexte pareil, un type un peu louche vous propose un « transport en véhicule privé » prêt à partir dans l’après-midi. Qu’est-ce que vous faites ? (Ne répondez pas, c'est une question rhétorique.) Eh ben nous, malgré tout, malgré les mises en garde, je vous assure qu’on hésite. C’est vous dire si on a envie de passer la nuit.

En relisant le Routard, on relève une indication qui nous avait échappé. Une obscure compagnie dont personne n’a entendu parler propose un départ en soirée. C’est Atacama 2000 (oui, Atacama 2000, allez-y marrez-vous, notre deus ex machina porte le nom d’une marque d’aspirateur). Les guichetiers nous envoient tout en bas de la rue. Si c’est encore une de ces indications foireuses on commet un chilènicide.

Finalement, il est 15h quand nous obtenons deux billets pour San Pedro dans une sorte de hangar venteux décoré de quelques belles photos de camionnettes, de bancs en plastique massacrés et de caisses en carton. Tout ça…

…pour un trajet d’1h30.

1.    San Pedro

Le désert, nous ne savons pas trop à quoi nous attendre. Un désert, dans nos têtes, ce sont des dunes de sable et des oasis.

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Mais c’est une vaste plaine battue par le vent et plantée de quelques éoliennes – genre le lieu de la rencontre à la fin de Seven – qui s’ouvre devant nous, à peine sortis de Calama.

Une petite sieste plus tard et on ouvre les yeux sur un mirage. Manifestement on n’est pas morts, donc l’espèce de mur infini qui occupe tout l’espace visible à travers les fenêtres du bus doit être une hallucination. Il faudra quelques instants pour réaliser que nous plongeons vers le fond de l'immense vallée d’Atacama sur une piste digne d'une rampe de saut à ski et que ce qui a remplacé le ciel dans les lucarnes, c'est le sol asséché. La longue ligne droite tracée sur le décor vierge fait comme une entaille dans une grande toile blanche. Les routes sont des cicatrices.

Un carrefour au milieu du rien, puis, dernière ligne droite vers San Pedro.

Nous y sommes enfin. Quelques rues désertes sous le cagnard nous mènent de la gare routière au cœur du village. Au détour d’une petite allée poussiéreuse aux maisons en adobe, nous sommes submergés par une vague de langues européennes, de peaux blanches, de pancartes « VISA/MASTERCARD ». Toutes les boutiques vendent le même poncho « fait main » unique au monde, comme dans Tintin.

Nous passons une première nuit dans une grande auberge labyrinthique, un endroit spécial, à l’image de la propriétaire, une vieille Nordique un peu revêche. La minuscule cuisine à l’ambiance confinée et désuète nous ramène aux atmosphères des auberges de jeunesse argentines. Nous y faisons la rencontre d’un couple de Français et après avoir cuisiné côte à côte dans l’espace exigu, on décide de se lancer dans une balade nocturne aux abords du village, nos premiers pas dans le désert, à la lumière de l’astre nocturne.

Il parait que la région offre le ciel le plus limpide de la Terre. Mais pas d’étoiles pour nous, ni aujourd’hui, ni demain, ni les autres jours : la pleine lune a allumé ses grands phares.

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Nuit réparatrice dans une chambre qui a été témoin d’autres époques.

Le matin se lève sur une journée contrariante. Il faut déjà faire nos sacs, nous n’avons pu réserver qu’une seule nuit, faute de disponibilité. L’auberge voisine peut nous accueillir pour le reste de la semaine, mais elle est beaucoup moins belle et plus chère. Le propriétaire suisse ne s’est pas embarrassé avec la notion de charme, les douches communes ressemblent à des vestiaires de club de foot.

« Jamais dans ma vie je n’ai reçu aussi souvent des instructions sur la manière dont je dois faire mes besoins ». Assise sur une des chaises hautes de la grande cuisine, une voyageuse met le doigt sur une étrange vérité du voyage en Amérique du Sud. Elle a raison. C’est très bizarre, cette intrusion constante dans les recoins de l’intimité. À cause de la tuyauterie trop étroite, les cuvettes ne supportent pas le papier WC, ce qui entraîne la prolifération de petits idéogrammes idiots. Dans notre auberge suisse très internationale, aucun visiteur n’a été oublié :

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Bref !

Sous un ciel immaculé, nous nous lançons dans une petite visite du village, accompagnés de nos nouveaux amis de la veille, en s’éloignant autant que possible des rues commerçantes. San Pedro est un endroit bizarre. Pittoresque pour les touristes, dur pour ses habitants de souche, rempli de gens qui se croisent sans vivre ensemble, voyageurs, illuminés de tous poils, opportunistes et marchands de babioles. Mais à nos yeux, c’est un petit bijou. Murs blanchis mêlés de poussière rouge, portes peintes de couleurs pâles, rues de terre battue. Au coin de notre rue, une église en adobe reçoit les soins de restaurateurs perchés sur des échafaudages. Leur technique : former des boules de terre et de paille à la main, qu’ils « clashent » sur le mur et laisser le soleil faire le reste.

Au-delà des commerces, plus aucun touriste, des rues vides sous le soleil accablant. Le ciel est pur, la lumière intense, vibrante. De temps en temps, un vieux camion rouillé nous oblige à faire un pas de côté dans un nuage de poussière. Et chaque fois que nos regards se détachent de la terre sèche, s’élèvent au-dessus de la verdure des jardins, on redécouvre avec la même surprise le blanc de lointains sommets enneigés.

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Bientôt, des champs d’un vert miraculeux apparaissent. L’irrigation, ici, constitue un patrimoine intellectuel et matériel, qui se transmet au fil des générations. On tombe par hasard sur l’hôtel cinq étoiles de San Pedro, complètement isolé du village, on se faufile derrière l’interminable enceinte pour découvrir un bar ultra-moderne, des piscines, des vignes, en contraste total avec le mode de vie local. Nos habits de bourlingueurs nous trahissent rapidement, on se fait gentiment expulser.

San Pedro de Atacama : PARTIE I. Débuts difficiles (1/03-5/03)
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L’heure de notre excursion est arrivée. La camionnette qui s’engouffre sur le parking de l’auberge ne nous dit rien qui vaille. C’est plus un bus de supporters qu’une camionnette tout terrain (décidément les métaphores footballistiques ont le vent en poupe). À mesure que le van se remplit, nos craintes se confirment. Deux ou trois kilomètres à peine après la sortie du village, la camionnette marque le premier d’une série d’arrêts chronométrés. Un guide très porté sur les photos de profil Facebook, un groupe aux allures bovines, deux Allemands qui refusent de traîner leur gueule de bois hors du véhicule : du tourisme de qualité. Après quatre mois en roue libre, on snobe un peu ce genre de promiscuité. Le malaise est d’autant plus fort que les paysages sont absolument sensationnels. On est si près et pourtant si loin de la magie du désert dont parlent tous les voyageurs.

Derrière un canyon étroit habité par d’étranges rochers et parcouru de caves labyrinthiques aux parois salines, nous nous arrêtons en bord de route pour découvrir l’immense « Vallée de la Mort » qui s’étend sous nos pieds. Paysage invraisemblable, martien.

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Puis c’est au tour des « vierges de sel », deux statues presqu’humaines plantées au milieu du décor par la volonté de dame nature. Il faut faire un effort pour ignorer les jeeps et les camionnettes parkées dans notre dos. Mais comment faire sous les commentaires du guide : « avant, il y avait trois statues, jusqu’au jour où un touriste a voulu faire un selfie avec la troisième et elle s’est écroulée » ?

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Malaise. Malaise total. Paysages grandioses et ambiance de foire aux bestiaux se marient mal. Sentiment d’être un Touriste avec un grand T.

Le soir tombe et apaise nos consciences. Notre guide nous emmène sur les traces de milliers de touristes imprimées dans le sable de dunes immenses. Au sommet, nous sommes loin d’être seuls. Tout s'évapore face au spectacle. Le silence envahit même l’attroupement de photographes professionnels qui comparaient leurs gros engins il y a quelques minutes encore. L’émotion est à couper au couteau. C’est sans doute le coucher de soleil le plus émouvant de notre vie.

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La nuit passe et nous nous réveillons mal à l’aise, la tête pleine de pensées contradictoires. Cette fin de journée fascinante n’a pas effacé l’odeur de bétail touristique sur notre peau. Faut dire aussi que l’équipe de Brésiliens fêtards plantés toute la nuit sur le pas de notre porte n’a pas aidé à calmer notre humeur. Nous repensons à Ingeburg, qui avait regretté son détour dans le nord du Chili, les excusions trop bien huilées et les visiteurs aux gros sabots. Que faire ? Partir et ne rien voir du désert ? Rester et faire violence à nos réticences ?

La solution, une fois de plus, vient d'une rencontre.

En préparant la tambouille dans la grande cuisine, hier soir, nous avons fait connaissance avec Tom et son épouse. Ce couple de Canadiens a décidé de se remettre à l’aventure et voir le monde depuis que leurs enfants ont fait leur vie. Tom nous a montré le gros pick-up rouge qu’il a eu la clairvoyance de louer à Calama. Le récit de leurs pérégrinations dans le désert nous fait crever d'envie et on y a pensé toute la nuit. Il nous faut notre propre véhicule !

Mais à San Pedro, le seul locataire n’a plus de pickup disponible. Il faudrait retourner à Calama et prendre le risque de perdre deux jours dans cette ville de l'enfer, vu la rareté des bus. Longues discussions, sentiment de tourner en rond, partir ?, rester ?, cesser de se prendre la tête, après tout on exagère, ce n'est pas si mal ces tours organisés, on est vraiment snobs à s'imaginer que la frontière est nette entre un "voyageur" et un "touriste", on ne se soustrait pas autant au grand flux qu'on voudrait le croire, sans doute, c'est vrai, mais t'as vu les deux anglais qui ont dormi dans la camionnette toute la journée et les dégradations le long de la route ?

Au cœur de ce tergiversations, nos amis Canadiens arrivent avec la solution. Ils ont décidé de visiter le sud de la Bolivie au départ de San Pedro. Donc, ils doivent rendre le pickup à Calama et trouver un moyen de revenir au village. La solution s’impose d’elle-même : Tom emmène Machu à Calama où il rend son pickup ; Machu en loue un autre et tous deux retournent vers San Pedro ; les Canadiens poursuivent leur itinéraire vers le nord ; les Belges reprennent leur visite du désert en toute autonomie.

Machu embarque sur le siège passager, tandis que Picchu reste avec sa nouvelle amie canadienne. Machu raconte :

"Tom et moi discutions de nos voyages. Il dégage cette bienveillance mêlée d’assurance que nous retrouvons souvent chez les Canadiens. Une heure trente, c'est comme si on allait à la mer du Nord, mais derrière la fenêtre, c'est l'énorme vallée, puis la vaste et sa rangée d’éoliennes, parfois traversée d’un willy-willy, et enfin la banlieue lugubre de Calama, un entrelacs de lignes de chemin de fer, d’avenues grises et de carrefours striés de fils électriques. Le parking de l'aéroport se repère de loin à la couleur de dizaines et de dizaines de pickups rouges. Je ne comprends pas pourquoi il y en a tant. Tom m’explique. C’est pour les mineurs. À quelques kilomètres à peine, fourmillent des milliers d’ouvriers dans un gigantesque trou. C'est Chuquicamata, la plus grande mine de cuivre du Chili, d’Amérique du Sud et du monde.

Personne ne vient vérifier l’état du véhicule de Tom. J’entame les démarches pour ma location. Ça ne se passe pas comme prévu, il fallait une réservation en ligne. Heureusement, je m'étais enregistré en ligne pour vérifier les prix et le système a retenu mon pseudo. MaxouMaxime est sur le point d’empocher les clefs de bagnole. C’est sans compter sur la limite de la carte Visa. Pas moyen d’avancer la caution et ils refusent que j'utilise la carte de Tom. On est donc bloqués comme des cons à l’aéroport de Calama, avec nos femmes au milieu du désert. Je souscris finalement à une assurance pour faire fi des frais de caution. L’expédition aura duré cinq heures, mais tout s’arrange."

Nous fêtons ce succès tous les quatre dans un resto touristique un peu vide, servis par des garçons de table obséquieux sur fond de musique folk live. Tous ces artifices ravivent un peu le malaise de la veille, mais l’excellente compagnie nous rappelle plutôt les repas entre amis, dans une autre vie. Une fois de plus, sentiments mitigés.

Ce soir, une mauvaise nouvelle fait la une des infos : le volcan Villarica, en Patagonie, est entré en éruption. Toute la région a été évacuée. C’est le fameux volcan qu’on avait voulu gravir, il y a deux semaines, mais qu'on n'avait pas pu approcher car l’alerte était déjà donnée.

Dans l'émission "Les GARDIENS de Villarica", une question brûlante est posée aux spectateurs : "Qui auriez-vous envie de jeter dans le cratère du volcan Villarica ? Appelez le..."

Dans l'émission "Les GARDIENS de Villarica", une question brûlante est posée aux spectateurs : "Qui auriez-vous envie de jeter dans le cratère du volcan Villarica ? Appelez le..."

Troisième matin dans San Pedro. Sur le parking de l'auberge, un beau pickup rouge nous attend. Nous sommes enfin libres de nos mouvements.

Nous avons mis à profit la fin d'après-midi d'hier pour remplir deux missions d’égale difficulté : se procurer une carte suffisamment précise de la région et convaincre des voyageurs de nous accompagner dans nos expéditions. Les compagnons ont été faciles à trouver, la carte beaucoup moins. Toutes les cartes du désert se contredisent, ce qui n’est déjà pas rassurant en soi. On se contentera de l’espèce de plan d’ensemble vendu à l’office du tourisme.

Les compagnons de route, eux, on les trouve dans l’auberge. C’est l’avantage de ces trop grandes maisons, il y a du monde à rencontrer. Aya, une Japonaise, Suzana, une Péruvienne et Sabrina, une Allemande, trois amies en vadrouille. Elles se laissent facilement convaincre. Sauf Aya, elle est un peu sur la corde raide et le village la satisfait. N’empêche, venir à San Pedro et ne pas voir le désert, ça nous laisse pantois ! On use de tout ce qu’on a de rhétorique pour la faire craquer, mais en vain.

Le pick-up se met en branle, elle voit ses deux amies embarquées qui lui font signe par la fenêtre. Alors au dernier moment, elle craque, elle grimpe.

Bidons d’eau de 10l, lunettes, crème haute protection. C’est le début de l’aventure, la vraie…

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